Les premières étapes du yoga

Les livres sur la pleine conscience sont parfois recommandés par des psychologues, voire des médecins généralistes. Les réactions des personnes qui l’ont découverte à cette occasion ne sont pas toutes positives. Il arrive que l’attention sur la respiration soit perturbante. De l’anxiété ou de l’énervement ont été ressentis par des gens qui trouvent manifestement que c’est une perte de temps et pour lesquels la pensée est la plus haute activité que puisse avoir un esprit humain. C’est l’expression d’un véritable fossé culturel entre l’Europe et l’Asie, mais le développement de la méditation de pleine conscience commence à le combler.

La pratique du yoga joue également. Si vous connaissez déjà le « yoga royal », le rāja-yoga, il vous sera facile de pratiquer la concentration sur la respiration. Je vais donc parler des étapes préliminaires telles qu’elles ont été définies par Patañjali. Ce maître a probablement vécu après le Bouddha, mais les pratiques décrites lui sont antérieures. Pour commencer, il convient d’avoir un comportement non violent (ahiṁsā), c’est-à-dire souhaiter le bien à tout être vivant, ne pas mentir, ne pas voler, éviter la luxure et être généreux. Cela correspond aux cinq préceptes des bouddhistes laïcs, le cinquième étant remplacé par l’interdiction des boissons enivrantes. La deuxième étape est la sérénité, l’ascèse, l’étude et la dévotion. Rien ne doit faire perdre son calme à un yogin : la vie le laisse imperturbable.

Des chercheurs en psychologie ont démontré que la pratique de la méditation de pleine conscience n’induit guère de comportement prosocial, ou en termes moins scientifiques, ne rend pas vraiment les gens plus altruistes. Ce n’est pas son but. Le comportement prosocial demandé est un préalable à la concentration. Le Bouddha demandait à ses adeptes d’être bienveillants. La pratique de l’amitié-bienveillance (mettā) apporte une aide précieuse. Cette forme de méditation peut même vous conduire jusqu’au troisième jhāna, ainsi que la compassion (karuṇā) et la méditation sur la sympathie avec la joie des autres (muditā). Si l’observation de préceptes moraux est un préalable à la concentration, celle-ci aide en retour les pratiquants à éliminer leurs « irritants psychiques ».

A priori, l’activité sexuelle pourrait être problématique. Pour le Bouddha, elle doit seulement être légale. Un homme « n’a pas de rapport coupable avec des personnes gardées en tutelle chez leurs parents, leurs frères, leurs sœurs ou leurs proches, ni avec des femmes mariées, ni avec des femmes prisonnières, ni avec les filles enguirlandées de fleurs. » Pour un couple, il est tout à fait possible de prendre son plaisir un soir, de passer une bonne nuit et de faire de la concentration le lendemain après le réveil. Cependant, si l’on est en pleine passion amoureuse, cette période n’est pas la plus indiquée.

Seulement après avoir rempli ces conditions, on peut commencer la pratique des postures (āsana) qui ont fait la célébrité du yoga en Occident. Elles sont développées dans le haha-yoga. Il n’est cependant pas nécessaire de savoir mettre les pieds sur la tête pour se concentrer. Le but est seulement de trouver une posture stable avant de débuter, qui est très souvent celle du lotus : les jambes sont croisées de telle manière que chaque pied repose sur le genou de la jambe opposée. C’est toujours ainsi que le Bouddha est représenté. On peut aussi adopter le demi-lotus, où seul un pied repose sur un genou, le pied droit par exemple.

Cela a l’avantage d’amener le sang vers la partie supérieure du corps. Certaines personnes en France peuvent le faire sans avoir suivi des cours de yoga. C’est très bien, mais il est préférable de s’asseoir sur un coussin afin de garder le dos et la tête bien droits. Même le Grand Maître utilisait un coussin, malgré sa souplesse. Ce doit bien sûr être un coussin qui ne s’écrase pas quand on se met dessus. Les zafu japonais sont faits pour cela et ils sont faciles à trouver.

Autrement, on peut très bien se mettre sur une chaise, assis bien droit, les mains jointes sur les cuisses. Traditionnellement, on pose d’abord la main gauche, la paume tournée vers le haut, puis la main droite dessus, la paume également vers le haut, de manière à ce que les pouces se touchent. Un tabouret convient également, puisqu’il ne faut pas être adossé. Je ne suis pas certain que vous pourrez explorer les jhāna en étant assis de cette manière, mais pour effectuer vos premiers pas, cela convient très bien. L’essentiel est d’être à l’aise.

Si vous voulez vous concentrer pendant des années, faites des exercices d’assouplissement en dehors de vos séances de concentration. Cette posture finira par ne plus être douloureuse.

La quatrième étape est la discipline du souffle, qui doit devenir stable et régulier. Elle peut être très utile. La concentration sur la respiration la rend naturellement régulière, mais au début, on peut avoir des difficultés. J’ai parfois eu des problèmes, me demandant si je devais utiliser la poitrine ou le ventre. Comme me l’a dit le Grand Maître, il faut prendre de profondes inspirations, ce qui ne semble pas forcément naturel. Faites attention, toutefois, à ne pas trop vous oxygéner. Une respiration ample doit être lente. Elle permet de bien sentir le frottement de l’air contre les narines. Le conseil que je peux vous donner et d’expérimenter différents types de respiration et de retenir celui qui vous convient le mieux.

Les yogin expérimentés sont capables de réduire leur respiration, jusqu’à l’arrêter complètement. Ils retiennent leur souffle. Il n’est pas nécessaire d’arriver jusque-là, l’objectif étant la concentration. La respiration devient d’elle-même plus subtile au cours de la progression.

La cinquième étape est la neutralisation des activités sensorielles. Le yogin n’entend plus rien, ne voit plus rien et ne sent pas qu’on le pique avec une aiguille. Il ne lui reste plus qu’à arrêter son activité mentale au moyen de l’uni-fixation de son esprit (la sixième étape), pour atteindre les états d’absorption (la septième). Je ne crois pas que ce soit communément réalisé dans les cours de yoga, bien que je n’en aie jamais assisté à aucun. Avec la concentration sur la respiration, cette désactivation des sens est réalisée à partir du deuxième jhāna.

Quand on commence à se concentrer sur la respiration, cette coupure du monde extérieur est un grand avantage : les bruits sont gênants. Si des cours de yoga ne vous ont pas permis d’arriver à ce niveau, vous pouvez vous asseoir dans une pièce totalement silencieuse, mais dans notre monde, c’est rare. Certains bruits perturbent plus les pratiquants que d’autres. Le passage de voitures, par exemple, n’est pas très gênant, puisque c’est un bruit doux et régulier. Il faut souhaiter qu’il n’y ait pas de coup de klaxon. Les bruits les plus dérangeants sont les conversations et les bruits violents. Sur un pratiquant profondément concentré, un claquement de porte peut avoir un effet traumatisant, puisqu’il le tire brutalement de sa concentration. Il faut absolument s’en prémunir.

Un bon moment pour faire de la concentration est le soir, quand les bruits de la ville commencent à s’estomper et que les enfants vont au lit, ou bien tôt le matin si vous arrivez à vous lever de bonne heure. Personnellement, je pratique toujours le matin. Les activités de la journée ne m’encombrent pas trop l’esprit.

Comme je l’ai dit, la concentration est un exercice solitaire. Si vous êtes plusieurs à vous lancer dans la pratique, vous pourrez vous encourager mutuellement. Cependant, les séances collectives ne sont pas toujours favorables. Celles que j’ai connues dans la pagode de Choisy-le-Roi ne m’ont rien apporté. Je ne suis jamais arrivé à me concentrer. La présence d’un grand maître à côté de moi n’y changeait rien. Par moments, j’entendais les autres pratiquants bouger et se gratter, les démangeaisons étant fréquentes. Une fois, l’un d’eux a glissé dans le sommeil s’est mis à ronfler, complètement affalé. Il a fallu interrompre la séance et le réveiller, mais nous avons pris ce contretemps avec le sourire.

L’apaisement des pensées peut en effet conduire au sommeil, d’autant plus que l’on se concentre les yeux fermés. C’est l’un des cinq obstacles cités précédemment : la torpeur ou la langueur. Le remède consiste à maintenir une concentration active. L’effort chasse la torpeur. Éventuellement, on peut entrouvrir les yeux et maintenir son regard sur son nez. La convergence oculaire est une technique parfois recommandée, mais l’idéal est de pratiquer les yeux fermés. Tous les stimuli externes sont gênants : lumières, bruits… et pensées. Les sensations tactiles le sont aussi, c’est pourquoi il est conseillé de ne pas porter de vêtements serrés.

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