Pratiquer la concentration sur la respiration – 1

La concentration sur la respiration est certainement la plus simple des méthodes de « méditation » qui puisse exister : elle consiste à fixer toute son attention sur un support, la respiration en l’occurrence. Il existe d’autres supports, comme des disques de couleur, mais ils ont l’inconvénient d’être externes, alors que la respiration est un support que l’on a toujours en soi. Tout animal respire. C’est vrai même des poissons, qui le font avec leurs branchies.

Il faut se concentrer sur le frottement de l’air contre ses narines, ainsi que sur la lèvre supérieure si l’on peut y sentir l’air la frôler durant l’expiration. Comme ce sont des sensations subtiles, cet exercice est difficile. Il est possible de commencer à se concentrer sur sa respiration tout entière, voire de compter chaque inspiration et expiration. La méthode des comptes est devenue une technique de méditation à part entière au début de l’ère chrétienne, quand le bouddhisme commençait à se diffuser de l’Inde vers la Chine. Certaines personnes en ont probablement oublié que ce n’était que la première étape de la pratique.

Il s’agit d’un exercice difficile mais pas désagréable. Il rapporte des bénéfices sans causer de souffrance comme les activités sportives, sauf si l’on tient à s’asseoir dans la position du lotus : quand on n’y est pas habitué, c’est éprouvant pour les jambes. Afin de se lancer dans une telle pratique, qui prend au moins 20 minutes par jour, il est nécessaire de connaître les bénéfices qu’elle peut apporter. Si l’on est bouddhiste, il n’y a pas de problème, puisque la pratique de la concentration fait partie des techniques employées pour opérer une transformation intérieure conduisant à l’Éveil.

Je vais donc rappeler en seulement quelques mots ce qui se passe quand on concentre correctement sur sa respiration. Le problème est d’empêcher son esprit de vagabonder : au lieu de se rester fixé sur le frottement de l’air contre les narines, il s’en va vers d’autres horizons. Concrètement, on se met à penser à toutes sortes de choses, si bien qu’on en oublie très vite sa respiration. Ordinairement, on n’est pas du tout conscient. C’est de cette manière que l’esprit humain fonctionne. Il ne peut être conscient que d’un nombre très limité de choses, et la respiration, cette activité pourtant si essentielle, n’en fait pas partie. L’existence consiste donc à ramener son attention vers sa respiration… avant qu’elle s’en écarte de nouveau. Ce cycle doit être répété autant de fois que nécessaire, pendant des jours, des mois ou des années.

Les bienfaits de la concentration

Quand on arrive vraiment à se concentrer, on fait l’expérience d’un calme profond. Tout est provisoirement oublié. C’est ce qui m’est arrivé quand ma mère est morte le 1er janvier 2020. La pratique intense de la concentration sur la respiration a fait de cette période de deuil en une période de grande sérénité, voire de bonheur. Tous les tracas de l’existence sont laissés de côté. Il peut paraître étonnant ou même troublant d’oublier son deuil, mais n’importe quelle tâche dans laquelle on est absorbé a le même effet. La tâche que j’ai effectuée était la concentration sur la respiration, mais elle offre plus que cet oubli momentané. Ainsi que je l’ai découvert il y a plus de 30 ans, des séances de plus de 30 minutes sont capables de me plonger dans une sorte de ravissement ou d’euphorie. Je terminais certaines séances avec des larmes de bonheur aux yeux. D’après le docteur Steven Laureys, j’ai probablement connu ces états que certains neurologues appellent flow méditatif, qui se caractérisent par la libération de neurotransmetteurs comme la dopamine, la sérotonine et les endorphines.

Les bénéfices de la concentration sur la respiration ne s’arrêtent pas. Ils vont très loin ! La poursuite des séances conduit à un calme de plus en plus profond, les pensées ne vous perturbant plus guère. On commence à apprécier vraiment les séances de concentration. La respiration prend une place de premier plan dans l’esprit, même si elle est subtile. On peut avoir l’impression d’avoir atteint l’objectif de cette pratique, mais il faut continuer à se concentrer, parce que vous sentez que vous pouvez aller plus loin, que votre concentration n’est pas encore parfaite. Au bout de quelques semaines, un signe apparaît. On l’appelle le signe acquis. Le plus souvent, il s’agit d’une étoile, mais cela peut être un autre objet ou une sensation de souffle sur le corps. Cela dépend de chaque pratiquant. Si l’on se concentre sur un disque de couleur, le signe acquis en est une image que l’on porte en soi : la concentration se fait dès lors sur cette image, les yeux fermés.

On peut trouver un bonheur infini grâce au drapeau japonais ! Il faut se concentrer sur le disque rouge.

Le signe acquis est d’abord instable. Quand il se stabilise à proximité du nez, on se concentre sur lui et non plus sur sa respiration, qui devient extrêmement faible. Vous êtes alors en possession du signe reflet. La poursuite de la concentration vous mène dans le premier état d’absorption, jhâna en pâli, le dialecte dans lequel les textes les plus anciens ont été transmis. La pensée est encore présente, bien qu’elle soit faible. Vous expérimentez surtout un bonheur et une joie sans équivalents dans notre monde, qui vous inonde complètement. Ces états d’absorption peuvent durer longtemps, puisque la respiration et les battements du cœur sont ralentis. On peut y rester plusieurs jours, sans pour autant s’ennuyer puisque l’on perd la notion du temps. Il en va de même quand on est concentré dans n’importe quelle tâche.

Dans le deuxième état d’absorption, la pensée disparaît. Il ne subsiste plus que le bonheur et la joie. Dans le troisième état, il ne reste plus que le bonheur. Dans le quatrième état, il disparaît à son tour, mais le pratiquant acquiert des pouvoirs supranormaux : il peut se souvenir de ses vies antérieures, connaître les pensées d’autrui et même voir l’ensemble des êtres vivants vivre, mourir et renaître. Le pratiquant est aussi capable de quitter son corps en créant un « corps spirituel » et d’aller où il veut.

Voilà ce que rapporte la concentration sur la respiration ! Avouez que c’est plutôt cool. Pour connaître le quatrième état d’absorption, il faut cependant s’extraire du monde afin de ne pas être perturbé. J’ai fréquenté pendant plusieurs années un homme qui avait fait ce chemin : Phramaha Thawanh. Il avait vécu en ermite deux ans dans la forêt du Laos. Je ne suis moi-même pas allé jusque-là, mais je connais le calme profond que cette technique de méditation peut apporter.

Si vous ne croyez pas à l’existence des pouvoirs supranormaux, je peux le comprendre, mais je vous présente ici une méthode qui permet de les acquérir. Il suffit d’aller jusqu’au bout… bien que des pratiquants observent certaines choses avant d’atteindre les états d’absorption. Un pratiquant ayant atteint le quatrième état d’absorption sera peut-être un jour examiné par des scientifiques, dans quelques décennies ou quelques siècles, et alors, vous en aurez le cœur net.

Le quatrième état d’absorption permet de savoir ce qu’est la mort. Pour le pratiquant qui l’a atteint, elle n’est plus un horizon indépassable. Ce jhâna ne permet pas de percer tous les mystères de la vie (ce que les bouddhistes appellent l’Éveil), mais il met le pratiquant sur la bonne voie. Pour Phramaha Thawanh, la pratique de la concentration sur la respiration est incontournable, même s’il savait que le Bouddha avait mis au point une autre méthode pour connaître l’Éveil : Vipassana, la vision intérieure profonde. Il n’a pas inventé la concentration sur la respiration. C’est une forme de yoga qui existait en Inde depuis de temps immémoriaux. Il a commencé à la pratiquer avec deux maîtres. Elle l’a conduit vers les états d’absorption (il semblait être doué pour cela), mais pas vers l’Éveil. Il a dès lors suivi sa propre voie et il a fini par trouver les réponses à ses questions.

La concentration sur la respiration n’est donc pas du « vrai » bouddhisme, mais elle est indispensable. Il faut en avoir pratiqué pour passer ensuite à Vipassana, l’idéal étant d’atteindre les états d’absorption.

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