Pratiquer la concentration sur la respiration – 3

Avant d’aborder la partie morale de la pratique, permettez-vous me parler encore de la pensée, puisque c’est une caractéristique fondamentale de l’être humain. Grâce à notre cortex cérébral très développé (2 200 cm² contre environ 500 cm² pour le chimpanzé), nous sommes des êtres pensants. C’est l’une des facteurs qui expliquent que l’être humain domine la Terre, pour le meilleur et pour le pire. Nous sommes également la seule espèce ayant la capacité de nous concentrer sur notre respiration et d’atteindre les états d’absorption. Aucun animal ne se fera jamais d’exercice de concentration pendant des heures, des jours ou des années. Les pratiquant le font pour renoncer à leurs pensées et leurs irritants psychiques, et donc renoncer à ce qu’ils sont. C’est à cette condition qu’ils ont accès au bonheur des états d’absorption, voire aux pouvoirs supranormaux du quatrième jhâna.

Nous sommes capables de créer des univers entiers par la pensée. Songez au travail des romanciers, particulièrement dans le domaine de la science-fiction et de la fantasy, ainsi qu’à celui des cinéastes. La série de films Star Wars, commencé en 1977 et qui se poursuit encore, a modelé mon imaginaire. Ils utilisent le travail des compositeurs de musique, qui créent des univers sonores. C’est là ce que le génie humain fait de mieux.

Malheureusement, nous ne pouvons pas toujours distinguer l’univers réel des univers imaginaires. Durant le Paléolithique, c’est-à-dire l’âge de la « Pierre ancienne », qui s’est terminé avec la dernière glaciation il y a 11 700 ans, le monde des hommes était beaucoup simple que maintenant. Ils n’avaient pas de science et connaissaient très peu de techniques, même s’ils fabriquaient des vêtements plus beaux que nous ne le pensons. Durant la dernière glaciation qui affectait le nord de l’Europe, ils passaient leur rude hiver dans des grottes et l’on imagine qu’ils se racontaient des histoires pour passer leur temps. Ils avaient certainement déjà beaucoup de mythes. En voici un qui date sans doute de cette époque, présent en Asie et en Amérique du Nord. Autrefois, il existait plusieurs soleils qui se levaient à tour de rôle. Un jour, ils se levèrent tous en même temps, si bien que le monde suffoqua sous leur chaleur. Les gens firent appel à un archer, qui les abattit tous sauf un. Depuis cet incident, il n’y a plus qu’un seul soleil.

L’archer Yi visant l’un des soleils, par Xiao Yuncong.

On peut passer sa vie à étudier les mythes, tant il en existe. Ils ne renseignent cependant pas sur le monde, mais sur les êtres humains. Pendant au moins des dizaines de millénaires, ils se sont bercés d’histoires fausses. Ils effectuaient des rites basés sur elles. Ils sacrifiaient des animaux, des hommes et des femmes à des dieux qui n’existaient pas. Encore aujourd’hui, on continue à faire des offrandes aux dieux et aux esprits, mais on ne tue plus d’êtres humains. Et n’essayez pas de dire à ces gens que ces dieux et ces esprits n’existent pas ! Vous risquez d’être confronté à des réactions agressives.

Je respecte ces croyances, du moment où personne n’en souffre, mais je n’en pense pas moins qu’elles sont erronées. La capacité des êtres humains à construire un univers mental composé de fausses croyances devraient nous interroger. Lorsqu’une croyance ne « fonctionne » pas, nous devrions l’abandonner. Nous ne pourrions pas faire marcher nos ordinateurs sans des connaissances sérieuses, en codage par exemple. Que l’on fasse une seule erreur dans une ligne de code dans un programme et il ne fonctionnera pas correctement. Quand on fait un sacrifice pour obtenir la pluie, le résultat est plus aléatoire. S’il pleut quelques jours après la cérémonie, on en déduira que les dieux ont écouté les prières, sans envisager qu’ils n’y soient en réalité pour rien. S’il n’y a aucune pluie dans les jours et les semaines suivantes, on pensera que la cérémonie n’a pas été faite dans les règles de l’art ou que les dieux sont de mauvaise humeur. Les hommes doutent rarement de leurs croyances.

Étant pour le respect inconditionnel de la vie, le Bouddha a condamné les sacrifices sanglants. Quant aux croyances, il n’est pas difficile de savoir ce qu’il en pensait. Elles sont des objets mentaux perçus par l’esprit, de même que la lumière est perçue par l’œil ou que les caresses sont perçues par la peau. Elles sont des objets de désir, de même que la musique ou les desserts au chocolat, or ce sont nos désirs qui nous retiennent en ce monde, en nous faisant renaître après notre mort. Il n’y a pas de progression dans la voie du bouddhisme pour qui reste attaché à ses croyances.

Pratiquer la concentration sur la respiration consiste à vider son esprit. La moindre pensée vous perturbe. Cette activité n’est donc pas compatible avec les certitudes. Le fanatisme est souvent considéré comme religieux, particulièrement liés aux monothéismes, mais il existe aussi des fanatismes athées. Le nazisme et le communisme sont les deux idéologies qui ont causé le plus de souffrance aux cours du XXe siècle. Elles n’étaient pas religieuses.

Un véritable pratiquant est insensible à toute propagande. Il n’adhère à aucune idéologie. Il est motivé par la compassion. Il cherche seulement à connaître les gens, à savoir pour quelle raison ils adhèrent à certaines opinions plutôt qu’à d’autres. Il remarque que les gens ont tendance à défendre leurs opinions, parfois d’une manière agressive, et qu’ils doutent rarement d’eux-mêmes. C’est l’effet de l’ego. Quand ils discutent avec quelqu’un, ils disent presque toujours : « J’ai raison et tu as tort ». On entend beaucoup moins souvent : « Je me trompe et tu as raison », parce que cela demande de l’humilité. De même, il est difficile de dire « Je ne sais pas » quand on n’a pas de réponse à une question, puisque son ego en prend un coup, si bien que l’on donne des réponses approximatives ou fausses.

Pourtant, il doit bien exister des vérités ! On peut facilement vérifier que le supermarché le plus proche ouvre à 8 h 30 du lundi au samedi. L’effet d’une hausse de la TVA sur les prix est en revanche beaucoup plus difficile à évaluer, puisqu’on ne sait pas dans quelle mesure elle sera répercutée. Dans ces conditions, il faut être prudent, et autant que possible, donner la parole à ceux qui s’y connaissent vraiment, c’est-à-dire aux économistes. Sur les réseaux sociaux, il y a un nombre considérable de gens qui donnent leur avis tout et n’importe quoi. Le Bouddha parlait des « fourrés d’opinions ». Le pratiquant doit éviter d’y tomber. Il doit garder un esprit léger et détaché.

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